L'appréciation de la preuve - Chapitre 11 : Autres questions communément soulevées

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11. Autres questions communément soulevées

11.1 Preuve intéressée

11.1.1 Principes généraux

On entend habituellement par « preuve intéressée » la preuve qui semble avoir été créée ou fabriquée en vue d'une audience pour étayer la causeNote de bas de page 344. De façon plus générale, tous les témoignages et les documents présentés par une partie dans le cadre d'une procédure sont intéressés dans la mesure où ils sont créés par elle ou pour elle et peuvent être favorables à sa causeNote de bas de page 345. Souvent, une conclusion selon laquelle la preuve est intéressée est liée à une conclusion selon laquelle le témoin n'est pas crédibleNote de bas de page 346.

Dans la décision GrozdevNote de bas de page 347, une lettre du père du demandeur d'asile accompagnée d'une prétenduee citation à comparaître faisait référence à des événements récents bien connus du demandeur d'asile. Le tribunal a donc conclu que la lettre avait été écrite dans le but bien précis qu'il la lise à l'audience etlui a accordé peu de poids en déclarant qu'il s'agissait d'une preuve intéressée. La Cour fédérale a conclu que le tribunal n'avait commis aucune erreur.

Toutefois, dans la décision CardenasNote de bas de page 348, la Cour fédérale n'a pas confirmé la conclusion du tribunal selon laquelle la correspondance venant de la famille du demandeur d'asile était intéressée. La Cour a souscrit à l'argument du conseil selon lequel les lettres étaient la seule preuve corroborante que ce dernier pouvait produire. Il était naturel qu'il ait demandé aux membres de sa famille de lui écrire et que ces derniers lui aient répondu comme ils l'ont fait. Bien que leurs lettres aient été postérieures à l'arrivée du demandeur d'asile au Canada, rien ne laissait entendre que ce qu'ils disaient dans les lettres n'était pas vrai. La Cour n'a pas confirmé non plus les conclusions défavorables tirées par le tribunal relativement à la crédibilité.

Dans des décisions récentes, la Cour fédérale a critiqué à maintes reprises le refus de la preuve fournie par des parents et des membres de la famille d'un demandeur uniquement parce que cette preuve est intéressée. Dans la décision Cruz UgaldeNote de bas de page 349, la Cour fédérale a reconnu qu'il est vrai que le décideur peut accorder peu de poids à la preuve en raison de sa nature « intéressée ». Toutefois, la Cour, citant l'arrêt LaboucanNote de bas de page 350 de 2010 de la Cour suprême du Canada, a déclaré que, en général, les éléments de preuve ne devraient pas être refusés simplement parce qu'ils viennent de personnes associées aux personnes concernées.

Dans la décision Cruz Ugalde, la preuve intéressée a été fournie par les membres de la famille du demandeur, ces derniers ayant été victimes de menaces et d'introductions par effraction de la part des persécuteurs qui cherchaient les demandeurs. Le juge de Montigny était d'avis que l'agent d'examen des risques avant renvoi (ERAR) qui avait tranché l'affaire aurait probablement préféré des lettres écrites par des personnes qui n'avaient aucun lien avec le demandeur. Toutefois, il n'est pas raisonnable de s'attendre à ce que des personnes n'ayant aucun lien avec le demandeur puissent fournir la preuve de ce qui était arrivé à ce dernier au Mexique. Les membres de la famille du demandeur étaient les personnes qui avaient observé la présumée persécution, de sorte qu'ils étaient les mieux placés pour témoigner au sujet des événements en question. Il était déraisonnable pour l'agent de se méfier de cette preuve simplement parce qu'elle venait de personnes liées au demandeur.

Dans la décision MagonzaNote de bas de page 351, la Cour fédérale a fait observer que, dans la grande majorité des cas, les membres de la famille et les amis des demandeurs sont les principaux, sinon les seuls témoins directs d'actes de persécution passés. Si leur preuve est présumée non fiable d'entrée de jeu, de nombreux cas réels de persécution seront difficiles, voire impossibles à prouver. Le juge Grammond a déclaré que les décideurs peuvent tenir compte de l'intérêt propre lorsqu'ils évaluent ce genre de déclarations. Il a affirmé que refuser entièrement ces éléments de preuve pour le seul motif qu'ils sont intéressés constitue une erreur susceptible de révision.

Dans la décision Murillo TabordaNote de bas de page 352, le tribunal de la Section de la protection des réfugiés (SPR) a accordé peu de poids aux lettres du père et de la sœur de la demandeure d'asile parce qu'elles étaient intéressées. Bien que le contrôle judiciaire ait été accueilli au motif que le tribunal avait commis une erreur en concluant que la demandeure d'asile disposait d'une protection adéquate de l'État ainsi que d'une possibilité de refuge intérieur, la Cour fédérale a longuement commenté le traitement des lettres par le tribunal et elle a conclu qu'il était problématique. La juge Kane a souligné le fait que les documents étaient des déclarations sous serment et elle a affirmé que les personnes pouvant probablement attester que les membres des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) continueraient de chercher la demandeure d'asile seraient les membres de sa famille.

Dans la décision MahmudNote de bas de page 353, le demandeur d'asile a présenté des lettres de son oncle et du président de son parti. La Cour fédérale a conclu que la Section du statut de réfugié (SSR) avait commis une erreur en concluant qu'il s'agissait d'éléments de preuve intéressés. Elle a affirmé qu'il fallait tenir compte de ce que les lettres disaient et non de ce qu'elles ne disaient pas. Les lettres corroboraient en termes généraux les allégations du demandeur d'asile et ne contredisaient pas son témoignage.

Il faut évaluer avec beaucoup de prudence la nature intéressée d'éléments de preuve comme le formulaire Fondement de la demande d'asile qui est nécessairementNote de bas de page 354 rempli par le demandeur d'asile pour appuyer une demande d'asile.

Il importe que le décideur justifie sa conclusion selon laquelle une preuve est intéressée. Dans la décision Rendon OchoaNote de bas de page 355, le rejet par la SPR des déclarations faites sous serment du cousin, de la sœur et d'un ancien collègue de travail du demandeur a été jugé déraisonnable. Le tribunal n'a pas expliqué la raison pour laquelle il n'a pas accordé beaucoup de poids à ces documents, mis à part le fait qu'ils émanaient « de membres de la famille et d'amis » du demandeur et que, par conséquent, ils n'étaient pas « indépendants ». Le juge Zinn a conclu que, si la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada accorde peu de poids à cette preuve, elle doit en donner les raisons dans ses motifs et ne pas se contenter de mentionner qu'elle vient de membres de la famille et d'amis du demandeur.

Le décideur devrait également expliquer les conséquences d'une conclusion selon laquelle la preuve est intéressée, étant donné que la Commission n'est pas liée par les règles de preuve et que ce type de preuve est admis dans certains cas. Cela peut généralement donner lieu à une conclusion selon laquelle il faut accorder peu de poids, voire aucun, à la preuve.

11.1.2 Facteurs relatifs au poids accordé à la preuve intéressée

Voici une liste non exhaustive des facteurs qui peuvent être pris en considération pour évaluer le poids qui doit être accordé à la preuve intéressée :

  • les raisons pour lesquelles la preuve a été fabriquée;
  • la date de la preuve;
  • le lien existant entre l'auteur et la partie qui produit la preuve;
  • la question de savoir si l'auteur a un intérêt dans l'issue de l'audience;
  • la teneur de la preuve;
  • tout parti pris manifeste ou toute attitude équivoque;
  • le fait que la preuve soit corroborée par d'autres éléments de preuve crédibles et qu'elle concorde avec ceux‑ci;
  • la possibilité de contre‑interroger l'auteur, au besoin;
  • la crédibilité de la partie qui produit la preuve.

11.2 Preuve par ouï-dire

11.2.1 Principes généraux

Les tribunaux peuvent refuser d'admettre une preuve qu'ils considèrent être du ouï‑dire. Le ouï‑dire est une preuve qui n'est pas fondée sur les observations ou la connaissance directes du témoinNote de bas de page 356. Les raisons de ne pas admettre cette preuve ont à voir avec sa fiabilité. Puisqu'aucune des quatre sections de la Commission n'est liée par les règles de preuve, la preuve par ouï‑dire est souvent admise (p. ex. des articles de journaux).

La Commission commet une erreur de droit si elle refuse des éléments de preuve simplement parce qu'il s'agit de ouï‑direNote de bas de page 357. Toutefois, le fait qu'il s'agisse de ouï‑dire peut être pris en considération au moment d'établir le poids à accorder à ce genre d'éléments de preuve. Les tribunaux doivent normalement se référer aux motifs justifiant la règle lorsqu'ils évaluent la preuve. Par exemple, on peut accorder moins de poids à des renseignements de deuxième ou de troisième main, voire aucun, parce qu'ils risquent d'être moins précis, compte tenu des circonstances dans lesquelles ils ont été communiqués.

Si une preuve est refusée au motif qu'il s'agit de ouï‑dire, le tribunal doit expliquer pourquoi la preuve en question n'est pas crédible ou digne de foiNote de bas de page 358.

La Cour d'appel fédérale a statué qu'il n'était pas inapproprié pour la SSR d'admettre une preuve par ouï‑dire fortement préjudiciable si d'autres éléments de preuve peuvent étayer les conclusions du tribunal. Il appartient au tribunal d'établir la valeur à donner à ce genre d'élément de preuveNote de bas de page 359. Le même principe s'applique aux trois autres sections de la Commission, qui ne sont pas non plus liées par les règles de preuve.

La Section d'appel de l'immigration (SAI) n'a pas eu tort d'admettre le témoignage d'un policier qui était fondé sur les déclarations d'informateurs dont l'identité n'avait pas été dévoilée. Le policier a témoigné en qualité d'expert au sujet des activités des gangs asiatiques dans la région de Vancouver et de l'identification des membres de ces gangs. Malgré le fait que des parties de ce témoignage constituaient du « ouï‑dire double », le tribunal pouvait se fonder sur le témoignage s'il le jugeait crédible, digne de foi et pertinentNote de bas de page 360.

Dans des circonstances comparables, la Cour d'appel fédérale a décidé que la SSR n'avait pas contrevenu à la justice naturelle en admettant en preuve le témoignage d'un expert non assermenté qui contenait des renseignements provenant de sources inconnues. La Cour a déclaré que, suivant le paragraphe 68(3) de l'ancienne Loi sur l'immigration – dont le libellé était semblable à celui de l'alinéa 170e) de la LIPR –, le tribunal a le pouvoir d'admettre la déclaration s'il la juge crédible et digne de foi dans les circonstances. Quant à l'impossibilité de contre‑interroger le témoin expert, la Cour a statué qu'il ne s'agissait pas d'un cas où la crédibilité du témoin était en cause. Par conséquent, la possibilité dele contre‑interroger n'était pas essentielle à l'équité de l'audience. En outre, la Cour a conclu que l'admission de ce témoignage par la SSR n'était pas injuste parce que le demandeur d'asile avait eu toute la possibilité de soulever des objections avant l'audience, de demander le contre‑interrogatoire avant l'audience, de produire une contre‑preuve et de présenter des observations quant au poids que le tribunal devait lui accorderNote de bas de page 361.

Dans la décision EleziNote de bas de page 362, le demandeur, un citoyen de l'Albanie, craignait d'être persécuté par la mafia en raison de son emploi auprès d'une commission chargée des revendications territoriales et parce que son père, un ancien président de la commission électorale locale, avait refusé de favoriser un candidat du Parti socialiste lors d'une élection précédente. En ce qui concerne la protection de l'État, le demandeur a présenté des lettres de représentants du gouvernement selon lesquelles l'Albanie ne pouvait pas le protéger. L'agent d'ERAR qui a évalué la demande a accordé peu de poids aux lettres parce que, selon lui, il s'agissait de ouï‑dire. La Cour a conclu que les déclarations avaient été faites par des acteurs gouvernementaux, un maire local et un député et que, par conséquent, la capacité de l'État à protéger le demandeur relevait de leurs connaissances personnelles. En outre, les lettres ne pouvaient pas être qualifiées à juste titre de preuves par ouï‑dire. Ces personnes faisaient partie de l'appareil étatique et, à ce titre, il était présumé qu'elles connaissaient les capacités de l'État en matière de protection.

C'est une erreur d'accorder peu de poids à un rapport psychologique ou médical simplement parce qu'il contient des preuves par ouï‑dire. Dans l'arrêt KanthasamyNote de bas de page 363, la Cour suprême du Canada a clairement commenté le caractère inapproprié du rejet des témoignages de professionnels (ou, de façon similaire, de la réduction de leur valeur probante) sur la seule base du ouï‑dire :

Et même si elle « n'a pas contesté le rapport de la psychologue », l'agente a conclu que l'opinion médicale « reposait essentiellement sur du ouï‑dire », car la psychologue « n'avait pas été témoin des faits à l'origine de l'anxiété vécue par [le demandeur] ». Cette conclusion méconnaît une réalité incontournable, à savoir qu'un rapport d'évaluation psychologique comme celui soumis en l'espèce comporte nécessairement une part de « ouï‑dire ». Un professionnel de la santé mentale n'assiste que rarement aux événements pour lesquels un patient le consulte. La prétention selon laquelle la personne qui demande une dispense pour considérations d'ordre humanitaire ne peut présenter que le rapport d'expert d'un professionnel qui a été témoin des faits ou des événements qui sous‑tendent ses conclusions est irréaliste et y faire droit entraînerait d'importantes lacunes dans la preuve. [De toute manière,] [u]n psychologue n'a pas à être expert de la situation dans un pays en particulier pour donner son opinion sur les conséquences psychologiques probables d'un renvoi du CanadaNote de bas de page 364.

11.2.2 Facteurs relatifs au poids du ouï‑dire

Les facteurs suivants peuvent être pris en considération pour établir le poids qui doit être accordé au ouï-dire :

  • la source de l'information originaleNote de bas de page 365;
  • le nombre de fois que l'information a changé de main;
  • la crédibilité et l'objectivité des personnes par qui l'information a été transmise;
  • la crédibilité du témoin;
  • la possibilité de contre-interroger l'une des quelconques personnes par qui l'information a été transmise, au besoin;
  • la cohérence de l'information avec d'autres éléments de preuve fiablesNote de bas de page 366.

11.3 Témoignage des enfants

11.3.1 Principes généraux

Le paragraphe 167(2) de la LIPR oblige chaque division de la Commission à nommer un représentant désigné pour toute personne âgée de moins de 18 ans qui comparaît devant la division. Les règles de chaque section contiennent des dispositions correspondantes, mais non identiques concernant l'obligation du conseil d'informer la section de la nécessité de nommer un représentant désigné et les exigences à respecter pour être nommé représentantNote de bas de page 367. De plus, le président a publié des directives (les Directives numéro 3) qui s'appliquent aux questions relatives à la procédure et à la preuve soulevées dans le cadre de demandes d'asile présentées à la SPR qui concernent des enfantsNote de bas de page 368.

Le représentant doit être choisi avec soin et avoir à cœur l'intérêt supérieur de l'enfant lorsqu'il l'aide à présenter sa cause. Il ne doit exister aucun conflit entre les intérêts du représentant désigné et ceux de l'enfantNote de bas de page 369. Si le représentant désigné n'est pas le conseil de l'enfant, il donnera des instructions à ce dernier au nom de l'enfant qu'il représente.

Dans le cadre d'une demande d'asile, la désignation d'un représentant doit s'appliquer à l'ensemble de la procédureNote de bas de page 370. Dans la décision DualeNote de bas de page 371, le demandeur d'asile avait eu 18 ans 9 jours avant l'audience de la SPR. Il avait 16 ans lorsqu'il est arrivé au Canada et qu'il a rempli son formulaire de renseignements personnels (FRP). La SPR a conclu que le récit de M. Duale n'était pas crédible et elle a rejeté sa demande d'asile. Dans le cadre du contrôle judiciaire, la Cour fédérale a conclu que M. Duale avait réalisé toutes les étapes de la procédure, à l'exception de l'audience en tant que telle, sans bénéficier de l'assistance qu'un représentant désigné devait lui fournir pour recueillir des éléments de preuve à l'appui de sa demande d'asile, ce qui allait à l'encontre de l'intention et du régime de la LIPR et des Règles de la Section de la protection des réfugiés, et était incompatible avec les Directives numéro 3.

La juge Dawson a accueilli la demande de contrôle judiciaire au motif qu'elle n'était pas en mesure de conclure avec assurance que le défaut de nommer un représentant désigné n'avait pas eu d'effet défavorable sur l'issue de la demande d'asile. Un représentant désigné aurait été chargé d'aider M. Duale à obtenir des éléments de preuve. Les éléments de preuve présentés au tribunal appuyaient une inférence selon laquelle le processus de collecte des éléments de preuve n'avait pas été ce qu'il aurait pu être. La Cour a également commenté le fait que les motifs de la SPR ne faisaient pas expressément référence à l'âge du demandeur, et ce, malgré un examen particulièrement bref de son FRP. Le défaut de reconnaître expressément son âge ainsi que l'incidence que cet âge a pu avoir sur la rédaction du FRP du demandeur, sur son témoignage et sur l'évaluation de son témoignage n'a pas étoffé les conclusions de la SPR en matière de crédibilité.

Un mineur peut chercher à témoigner de vive voix. Dans certaines circonstances et lorsqu'un demandeur d'asile mineur approche de l'âge de la majorité, la SPR peut commettre une erreur si elle ne se renseigne pas sur la question de savoir si le demandeur d'asile mineur devrait être présent à l'audience et devrait témoigner en son propre nom. C'était le cas dans l'affaire AndradeNote de bas de page 372, où l'intimé mineur dans une demande de constat de perte de l'asile au titre de l'alinéa 108(1)a) de la LIPR avait 17 ans. La Cour a conclu que l'intimé avait acquis la capacité de se former et d'exprimer une opinion quant à son intention de se prévaloir de la protection du pays dont il avait la nationalité. La Cour a souligné que les conséquences de la perte de l'asile étaient importantes pour l'intimé, surtout parce qu'il avait été personnellement pris pour cible par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Dans de telles circonstances, la commissaire n'aurait pas dû accepter simplement la demande du conseil de l'intimé d'exclure l'intimé mineur de la salle d'audience.

En vertu de l'article 16.1​ de la Loi sur la preuve au Canada, toute personne âgée de moins de quatorze ans est présumée habile à témoigner. La loi prévoit en outre qu'un enfant de moins de 14 ans ne peut être assermentée ni faire d'affirmation solennelle, et que son témoignage ne peut toutefois être reçu que si elle a la capacité de comprendre les questions et d'y répondre. Bien qu'un témoin de moins de 14 ans doive promettre de dire la vérité avant de témoigner, aucune question sur la compréhension de la nature de la promesse ne peut être posée au témoin en vue de vérifier si son témoignage peut être reçu par le tribunal. Si le témoignage est reçu par le tribunal, il est entendu que le témoignage reçu a le même effet que si l'enfant avait prêté sermentNote de bas de page 373.

Lorsqu'il entend et apprécie le témoignage d'un enfant, le tribunal doit faire preuve de délicatesse et toujours garder en mémoire les limites du témoignage d'un enfant. La SSR a écrit ce qui suit :

[…] un enfant qui demande le statut de réfugié peut éprouver des difficultés à raconter les événements qui l'ont poussé à fuir son pays. Souvent les parents d'un enfant demandeur ne lui auront pas décrit certains événements malheureux par souci de le protéger. Par conséquent, en témoignant à l'audience, l'enfant peut répondre vaguement et paraître mal informé sur des événements importants qui auraient entraîné la persécution. Avant qu'un juge des faits puisse conclure qu'un enfant demandeur n'est pas crédible, il doit examiner les sources d'information de l'enfant, ainsi que sa maturité et son intelligence. Il doit également tenir compte de la gravité de la persécution présumée et de la possibilité que des événements antérieurs aient pu traumatiser l'enfant et affecter sa capacité de raconter les détailsNote de bas de page 374.

Dans la décision UthayakumarNote de bas de page 375, la Section de première instance de la Cour fédérale a écrit ce qui suit :

Le procureur des demandeurs a rappelé au tribunal que dans le cadre du présent dossier, nous avons affaire à des enfants mineurs et qu'en pareilles circonstances, il faut regarder avec attention les directives mises en place par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en ce qui a trait aux questions de procédure et de preuve entourant des enfants mineurs […] Le tribunal n'a manifestement pas tenu compte du fait que les demandeurs étaient âgés de dix et douze ans lorsqu'ils ont vécu leur traversée vers le Canada et que ces deux enfants n'avaient manifestement pas à écrire un carnet de voyage tout au long de leur périple. De plus, il était tout à fait possible, sinon réaliste, que les demandeurs ne puissent, l'un et l'autre, se rappeler exactement de toutes les circonstances de ce voyage qui a certainement dû leur créer un stress important, et ce, compte tenu des circonstances.

11.3.2 Facteurs relatifs au poids qui doit être accordé au témoignage des enfants

Voici une liste non exhaustive des facteurs dont il faut tenir compte pour évaluer le poids qui doit être accordé au témoignage des enfants :

  • la question de savoir si l'enfant serait plus à l'aise s'il témoignait dans des conditions spéciales (p. ex. avec l'aide d'un ami, d'un membre de sa famille ou d'un conseiller en qui il a confiance, à l'aide d'une caméra vidéo ou derrière un écran;
  • l'âge de l'enfant au moment des événements;
  • le laps de temps qui s'est écoulé depuis les événements;
  • le niveau d'instruction de l'enfant;
  • la capacité de l'enfant de comprendre et de raconter les événements;
  • la compréhension qu'a l'enfant de l'obligation de dire la vérité;
  • la capacité de l'enfant de se rappeler les événements;
  • la capacité de l'enfant de communiquer de façon intelligible ou de manière susceptible d'être rendue intelligible;
  • le fait que l'enfant était intimidé par la salle d'audience lorsqu'il a témoigné.

11.4 Témoignage de personnes souffrant de troubles mentaux ou affectifs

11.4.1 Principes généraux

Le paragraphe 167(2) de la LIPR donne aux commissaires de chaque section le pouvoir de nommer un représentant désigné à une personne qui comparait devant une section et qui « n'est pas, selon la section, en mesure de comprendre la nature de la procédureNote de bas de page 376 ». Les règles de chaque section contiennent des dispositions correspondantes, mais non identiques concernant l'obligation du conseil d'informer la section de la nécessité de nommer un représentant désigné et les exigences à respecter pour être nommé représentantNote de bas de page 377. Le représentant doit être choisi avec soin et avoir à cœur l'intérêt de la personne en cause lorsqu'il l'aide à présenter sa cause. Il ne doit exister aucun conflit entre les intérêts du représentant désigné et la personne représentée. Si le représentant désigné n'est pas le conseil de la personne en cause, il donnera des instructions à ce dernier au nom de la personne qu'il représente.

Une personne souffrant de troubles mentaux n'est pas nécessairement incapable de comprendre la nature de la procédureNote de bas de page 378. Il faut évaluer chaque cas en questionnant la personne en cause, s'il y a lieu, et en examinant les rapports médicaux produitsNote de bas de page 379.

Une personne peut être appelée à témoigner de vive voix même si elle est incapable de comprendre la nature de la procédure. Il faut évaluer avec soin ce témoignage ainsi que les témoignages de personnes souffrant de troubles mentaux ou de troubles affectifs qui ne les empêchent cependant pas de comprendre la nature de la procédure.

Dans une affaire dont était saisie la SSR, un demandeur d'asile qui avait été témoin d'un meurtre violent alors qu'il était âgé de 14 ans souffrait du syndrome de stress post‑traumatique. Onze ans plus tard, il prétendait que les meurtriers l'avaient reconnu et il craignait que ces derniers le poursuivent partout en Inde. Le tribunal a considéré que le témoignage du demandeur d'asile était peu vraisemblable. Selon le tribunal, il était plus probable que l'appréhension et la très grande anxiété du demandeur d'asile causées par son trouble modifiaient sa perception de la réalitéNote de bas de page 380.

Dans la décision YahaNote de bas de page 381, la Cour fédérale a conclu que la SPR n'avait pas tenu compte de l'incidence de la maladie mentale du demandeur sur sa capacité de fournir des éléments de preuve détaillés. Au moment de l'évaluation de la preuve, le tribunal interagissait avec un homme analphabète qui avait récemment souffert d'un épisode psychotique aigu nécessitant une hospitalisation pendant des mois. L'homme prenait des médicaments lorsqu'il a témoigné. Le tribunal a choisi de s'appuyer sur l'absence de toute mention explicite de problèmes de mémoire dans la lettre du Centre de toxicomanie et de santé mentale pour appuyer sa conclusion selon laquelle le demandeur n'était pas crédible. La lettre visait à confirmer le régime de traitement continu du demandeur et ne visait pas à fournir une liste complète des symptômes associés à son diagnostic de schizophrénie. Tenant compte des Directives numéro 8 du présidentNote de bas de page 382, la Cour a conclu qu'il était raisonnable de s'attendre à ce que le tribunal s'informe sur la façon dont le diagnostic pourrait affecter la mémoire du demandeur.

Dans une autre affaire, la SSR a statué que le demandeur d'asile souffrait d'un syndrome cérébral organique qui lui causait des troubles de mémoire, mais qui ne l'empêchait pas de comprendre l'objet de la procédure. Le tribunal n'a accordé aucun poids au témoignage du demandeur d'asile et n'a tiré aucune conclusion défavorable des contradictions et incohérences qu'il contenait; il s'est plutôt fondé sur le témoignage des enfants adultes du demandeurNote de bas de page 383.

11.4.2 Facteurs à prendre en considération

Voici une liste non exhaustive des facteurs qui peuvent être pris en considération au moment d'évaluer le poids qui doit être accordé au témoignage de personnes souffrant de troubles mentaux ou affectifs :

  • toute preuve d'un médecin ou d'un psychologueNote de bas de page 384;
  • la nature des troubles particuliers dont souffre le témoin;
  • la question de savoir si le témoin serait plus en mesure de témoigner si son état était stabilisé par des médicaments (c.‑à‑d. suspendre brièvement la procédure);
  • la question de savoir si le témoin serait plus à l'aise s'il témoignait dans des conditions spéciales (p. ex. avec l'aide d'un ami, d'un membre de sa famille ou d'un conseiller en qui il a confiance, à l'aide d'une caméra vidéo ou derrière un écran);
  • l'effet des troubles dont souffre le témoin sur sa capacité de se rappeler les événements passés;
  • l'effet des troubles sur la capacité du témoin de comprendre les questions qui lui sont posées;
  • dans la mesure où il est possible de l'établir, la question de savoir le témoin était lucide à certains moments, mais pas à d'autres;
  • si d'autres éléments de preuve objectifs peuvent appuyer les dires du témoin.

11.5 Conjectures

Les conclusions de fait ne peuvent reposer sur une preuve « purement conjecturale et théoriqueNote de bas de page 385 ». De même, le décideur ne doit pas fonder ses décisions sur ses propres hypothèsesNote de bas de page 386.

Dans la décision MatharuNote de bas de page 387, le tribunal a invité le demandeur d'asile à expliquer pourquoi des policiers les avaient arrêtés, lui et son père, et avaient procédé à une fouille de leur domicile et de leur commerce. De l'avis du demandeur d'asile, les policiers croyaient qu'ils agissaient de connivence avec des activistes. Selon la Cour fédérale, les raisons pour lesquelles les policiers étaient de cet avis relèvent de la conjecture, à moins que ceux-ci n'aient révélé leurs soupçons. Il n'était pas juste de rejeter l'incident à cause de conjectures.

Dans la décision KhanNote de bas de page 388, la Cour fédérale a affirmé que le tribunal de la SSR avait exprimé une opinion générale en affirmant qu'au Pakistan, lorsque le gouvernement change, les activités de tous les fonctionnaires de l'État changent aussi. La Section de première instance de la Cour fédérale a jugé que cette opinion, non étayée, reposait sur des conjectures. Le document étayant l'opinion de la SSR précédait de quatre ans la date des élections. Selon la Cour, transposer des renseignements d'une période à une autre, puis s'y fier pour faire des affirmations générales au sujet des conditions actuelles, sans donner de raisons précises, relève de la conjecture.

Dans la décision KeNote de bas de page 389, la Section de première instance de la Cour fédérale a pris en compte le manque de preuve disponible concernant la caution proposée dans le cadre d'un contrôle des motifs de détention et a conclu que la décision du tribunal était fondée sur des conjectures. Le tribunal s'est penché sur les liens de parenté par le sang et il a souligné que, même si le lien semblait ténu, il fallait être attentif aux différences culturelles. Il a supposé que le fait de déshonorer la caution pourrait faire de la peine à la mère de la personne détenue et il a donc accepté l'offre de cautionnement.

La différence entre une simple hypothèse ou conjecture et une déduction justifiée a été décrite de la manière suivante :

Il est souvent très difficile de faire la distinction entre une hypothèse et une déduction. Une hypothèse peut être plausible, mais elle n'a aucune valeur en droit puisqu'il s'agit d'une simple supposition. Par contre, une déduction au sens juridique est une déduction tirée de la preuve et si elle est justifiée, elle pourra avoir une valeur probante. J'estime que le lien établi entre un fait et une cause relève toujours de la déductionNote de bas de page 390.

Il faut examiner la preuve et établir s'il y a un motif qui permet au témoin de faire une inférence ou si la déclaration est uniquement conjecturale. Aucun poids ne doit être accordé aux conjectures.

Dans la décision GironNote de bas de page 391, la SPR a tiré des conclusions d'invraisemblance déraisonnables fondées sur des hypothèses ou une mauvaise compréhension de la preuve. Le tribunal a conclu qu'il était invraisemblable que le gang Mara Salvatrucha puisse identifier le demandeur, qui travaillait au Centre judiciaire de Metapan, au Salvador, comme une « personne [ayant] des renseignements à vendre ». La juge Kane a conclu que, en laissant entendre que le demandeur aurait dû savoir comment le gang l'avait identifié, le tribunal n'a pas tenu compte de son témoignage selon lequel il ne connaissait pas le membre du gang qui l'avait approché et n'avait eu aucune interaction antérieure avec le gang. La SPR a également conclu que la « simple présence au Canada » du demandeur rendait son récit invraisemblable parce que, si ses allégations étaient vraies, le gang aurait eu amplement l'occasion de le tuer. Le tribunal a conclu que cette conclusion reposait sur des hypothèses quant au fonctionnement du gang.

Dans la décision SoosNote de bas de page 392, la demandeure craignait son ex‑époux qui l'avait maltraitée en Hongrie et au Canada. L'époux avait été reconnu coupable d'avoir agressé la demandeure au Canada. La Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire en raison des conclusions hypothétiques de la SPR concernant le bien‑fondé de la crainte de persécution de la demandeure. Le tribunal a émis des hypothèses sans preuve qu'il y avait une forte possibilité que l'époux reste au Canada sans statut si sa demande d'asile à lui était rejetée. Il n'a pas expliqué pourquoi il n'avait pas été convaincu par le témoignage de la demandeure, la preuve objective de la Cour pénale et les rapports psychologiques, qui mentionnaient tous la possibilité réelle que l'époux retourne en Hongrie. De plus, le tribunal a conclu de façon déraisonnable, sans preuve, que la demandeure serait perçue différemment en Hongrie parce qu'elle avait des « documents juridiques du Canada » concernant les antécédents criminels de l'époux. La demandeure avait suffisamment d'éléments de preuve et de motifs qui ne sont pas d'ordre conjectural pour appuyer ses craintes de violence familiale, c'est‑à‑dire qu'elle craignait d'être victime de violence, qu'elle avait subi de la violence et que son ex‑époux avait été déclaré coupable de voies de fait. Alors que la conclusion de la demandeure était raisonnée, celle du tribunal était hypothétique et ne tenait pas compte des antécédents de violence présentés dans la preuve.

Dans la décision DhudwalNote de bas de page 393, un contrôle judiciaire concernant le paragraphe 4(1) du Règlement, la SAI avait conclu que le mariage précédent de la demandeure était un mariage de convenance. La Cour fédérale a conclu qu'il s'agissait d'une affirmation hautement hypothétique, étant donné que les autorités de l'immigration avaient fait enquête sur le mariage et avaient conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour poursuivre l'affaire.

Dans la décision ErhatiemwomonNote de bas de page 394, la question à trancher était de savoir si le demandeur appartenait à la catégorie du regroupement familial à titre de fils à charge en raison de son âge. La répondante a fourni des dates de naissance du demandeur qui correspondaient à deux mois et à cinq mois avant la date de naissance de son frère cadet. La Cour fédérale a conclu que la SAI supposait que la différence d'âge pouvait être expliquée par le fait que la répondante n'avait pas tenu un calendrier ou avait seulement enregistré la naissance de son fils cadet beaucoup plus tard. La Cour n'a pu trouver aucun fondement à cette explication, qui contredisait le témoignage de la répondante et qui n'avait jamais été soulevée devant le tribunal.

Si le témoin tire des conclusions de la preuve, la fiabilité des éléments qui ont mené à ces conclusions doit également être prise en considération. Dans la décision PortiankoNote de bas de page 395, la SSR a affirmé qu'elle jugeait le demandeur d'asile crédible en ce qui concerne les questions dont il avait une connaissance personnelle, mais non en ce qui concerne ses conclusions fondées sur des conjectures. De l'avis de la Cour fédérale, il y a une distinction à faire entre les faits dont le témoin a une connaissance directe (p. ex., il a reçu une citation à comparaître) et les conjectures en découlant (p. ex. s'il serait battu ou tué s'il répondait à la citation). L'admission du premier type de preuve et le rejet du deuxième ne sont pas déraisonnables, puisque le témoin se fonde dans les deux cas sur des sources différentes.

En dernière analyse, le tribunal doit tirer ses propres conclusions de la preuve présentée. La présomption de véracité d'un témoignage fait sous serment s'applique aux allégations de fait et non aux conclusions hypothétiques tirées de ces faitsNote de bas de page 396.


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